#12 Notre empathie à géométrie variable

Quand la neutralité devient impossible

Héraclès
4 min ⋅ 26/04/2023

On vient de fêter les 10 ans du premier mariage entre personnes de même sexe. Cet anniversaire est très important pour moi parce que ça me rappelle que ça fait 10 ans que je me suis engagé politiquement dans la lutte contre les discriminations sexistes, racistes et homophobes. Et c’est aussi pour moi l’occasion de faire un calcul simple et dont le résultat n'est pas reluisant : 

J’ai 55 ans - 10 ans = 45 ans.

Pendant 45 ans, j’ai vécu aveugle et sourd.

J'étais aveugle au fait que je faisais partie d’une toute petite minorité ultra privilégiée, du simple fait du lieu de ma naissance, de ma biologie et de mes préférences sexuelles.

J’étais sourd aux mots des autres, les mots de celles et ceux qui n’étaient pas né.es dans la même équipe que moi.

Donc, grâce à La Manif pour Tous, il y a 10 ans, je suis sorti de ma léthargie. C’est bien.

Mais avant ça, j’étais resté sans rien faire pendant 45 ans : et ça me pose plein de questions.

  • Comment est-ce que j’ai pu rester sans bouger ?

  • Par quel aveuglement ai-je estimé que ma neutralité était OK ?

  • Comment ai-je pu vivre paisiblement à côté de femmes qui se battaient tous les jours ?

Pourtant, je ne pourrai jamais prétendre que je n’étais pas au courant : 

  • Les violences faites aux femmes, je les connaissais.

  • Les inégalités salariales, je savais qu’elles existaient.

  • Le harcèlement de rue, je le voyais.

  • Les féminicides, j’en entendais parler comme tout le monde.

  • Les viols, je savais que beaucoup de femmes de mon entourage en avaient subi.

Rien de tout cela n’a suffit à me réveiller.

Jusqu’au jour où le spectacle des réacs qui défilaient dans les rues de Paris en brandissant des pancartes roses et en ânonnant des prières complètement hors sujet m’a mis en colère et m’a poussé à m’engager.

Et je me suis beaucoup interrogé sur ce qui avait été le déclic, l’élément déclencheur.

Ce déclic, c’était mon empathie.

Mon empathie pour d’autres hommes.

J’avais plein d’amis gays (des hommes) et c’est eux qui étaient attaqués, et ça m’a mis en colère.

Je suis bien obligé d’admettre ce bilan pas très glorieux : 45 ans sans lever un sourcil devant ce qui s’apparente à un génocide des femmes et il a fallu que d’autres hommes soient attaqués dans leur liberté de s’aimer pour que je me jette dans la mêlée.

C’est ce que j’appelle mon empathie à géométrie variable :

  • Une immense tolérance dans ce qui touche les femmes, et mon acceptation sous forme de neutralité molle.

  • Et en même temps une sensibilité exacerbée pour ce qui touche les hommes.

Et cette empathie à géométrie variable nous touche tous !

Car comment expliquer que sont les viols commis sur le frère de Camille Kouchner qui ont déclenché la vague #MeTooInceste, et pas les centaines d’autres témoignages racontés par des femmes dont le terrible “Voyage dans l’Est” de Christine Angot où elle décrit avec précision les viols à répétition qu’elle a subis de la part de son père.

Comme si l’inceste commis sur les filles était moins insupportable que celui commis sur les garçons.

Cette variation dans l’empathie, on nous l’apprend, à nous les garçons, dès le premier âge. 

On nous apprend très tôt : 

  • à nous définir comme n’étant pas des filles

  • à classer les filles dans la catégories des victimes potentielles (avec les autres “faibles”)

  • à nous désolidariser des violences que cette catégorie pourrait subir.

A partir du moment on nous intégrons que les filles sont dans une autre catégorie que la nôtre, nous acceptons beaucoup plus facilement qu’elles soient discriminées ou violentées.

Être un allié, c’est apprendre à ré-entraîner notre empathie vis-à -vis des femmes.

Être un allié, c’est sortir de la neutralité.

Il y a un moyen assez simple pour y parvenir : prendre une dose quotidienne de témoignages de femmes.

C’est un remède un peu amer, assez difficile à avaler et qui a des effets secondaires pas très agréables. Mais ça va te transformer en humain de meilleure qualité, alors ça vaut le coup.

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Héraclès

Héraclès

Par Sébastien Garcin

Cinquantenaire, parisien, bien éduqué, dirigeant d’entreprise, marié, en bonne santé, issu d’une famille aimante et aisée : j’ai longtemps vécu avec le sentiment d’avoir une chance insolente. C’est vrai, mais ce n’est pas une chance, c’est un privilège : une pyramide de privilèges. J’en ai pris conscience progressivement ces dernières années, à la faveur de lectures, de rencontres et d’introspections. J’ai travaillé à comprendre ces privilèges et à comprendre comment, sans le savoir, instinctivement, je les protégeais. Et puis, #metoo est arrivé. Ce n'est pas cette vague qui m'a surpris, c'est le silence des hommes qui m'a déçu et leurs prises de paroles consternantes qui m'ont énervé parce que je me suis rendu compte à quel point ce sont les femmes qui se tapent tout le boulot pendant que nous les mecs, on les critique. Dans toutes les grands victoires du féminisme, les hommes ont été au mieux des spectateur passifs, au pire des adversaires très virulents. J'ai découvert que les hommes ont un rôle à prendre dans la révolution féministe, un rôle nouveau et inédit : le rôle d'allié. J'ai essuyé les plâtres et je peux le dire maintenant : ça marche. Depuis que j'ai endossé ce rôle, je sais de source sûre que je change les choses autour de moi. J'ai appris à ne plus faire partie du problème et j'ai la fierté de faire, à mon échelle, partie de la solution. Depuis, je milite pour promouvoir ce rôle d'allié. Je recrute des hommes pour qu'ils s'éduquent et pour qu'ils se déclarent ouvertement alliés des femmes dans la lutte pour une égalité réelle.