#23 Nous les hommes faibles

Tu y crois encore ?

Héraclès
3 min ⋅ 01/10/2024

Ils n'étaient pas nombreux les gars qui semaient la terreur dans la cour du collège.

Au plus quelques dizaines parmi le millier de garçons qui se bousculaient à la récré.

Et pourtant ils prenaient tout l'espace. 

On s'écartait instinctivement devant eux.

On riait à leurs blagues.

On était flattés qu'ils nous considèrent. 

On tremblait qu'ils nous ciblent. 

Ça pouvait être un glaviot gluant qui nous éclaboussait, un ballon shooté à toute force dans les couilles, un bras attrapé au hasard et tordu jusqu'à ce qu'on s'agenouille, un cartable arraché et vidé dans les chiottes, un dessert volé à la cantine, sauf si tu crachais dedans.

Nous les garçons faibles, les chétifs, les placides, les gros, les bizarres, les maigres, à tout moment, ça pouvait nous tomber dessus. La menace était permanente. C'était dans l'air.

Nous n’avions pas de prédisposition pour la brutalité, ce qui nous désignait comme des cibles.

L'école, les profs, les surveillants ne s'en préoccupaient que quand le sang coulait.

Dans le même temps, hors de l'école, nos héros s'appelaient James Bond, Superman, Belmondo... des gars musclés qui obtenaient ce qu'ils voulaient sans prendre la peine de le demander poliment. Leur violence assurait leur suprématie et leur statut de héros.

Et c'est eux que choisissaient les bonnes meufs. Pas les autres : les seconds couteaux, ceux qui prenaient les baffes.

Ça aussi, c'était dans l'air.

Par quel miracle aurait-on pu envisager que ce qui se passait à l'école devait être différent de ce que nous voyions sur les écrans, de ce que nous lisions dans les livres ?

On nous avait érigé un modèle de gars costaud, brutal, indestructible, imperméable aux émotions des autres, exempt de vulnérabilités, qui obtient tout ce qu'il veut. Il avait le pouvoir, l’argent, les belles voitures et les jolies femmes. On nous disait que c’était la belle vie et on y croyait dur comme fer.

Et, même si, au fond de nous, nous ressentions le ridicule de cette posture et son insoutenabilité, il nous était impossible de ne pas nous sentir nuls, faibles et ratés quand on ne parvenait pas à y souscrire.

C'est ainsi que nous avons grandi. Convaincus que le monde appartient aux gars qui savent cogner, humilier et dominer. 

Les filles et les femmes étaient dans un monde parallèle, assignées à des missions qui nous étaient étrangères, soumises à des lois que nous ignorions, dotées de caractéristiques particulières auxquelles il fallait absolument que nous ne correspondions jamais. On nous les décrivait fragiles, incompréhensibles, désirables, inconstantes, émotives, disciplinées. On prétendait en permanence qu’elles étaient plus matures que nous, nous autorisant ainsi à l’être moins qu’elles.

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Héraclès

Héraclès

Par Sébastien Garcin

Cinquantenaire, parisien, bien éduqué, dirigeant d’entreprise, marié, en bonne santé, issu d’une famille aimante et aisée : j’ai longtemps vécu avec le sentiment d’avoir une chance insolente. C’est vrai, mais ce n’est pas une chance, c’est un privilège : une pyramide de privilèges. J’en ai pris conscience progressivement ces dernières années, à la faveur de lectures, de rencontres et d’introspections. J’ai travaillé à comprendre ces privilèges et à comprendre comment, sans le savoir, instinctivement, je les protégeais. Et puis, #metoo est arrivé. Ce n'est pas cette vague qui m'a surpris, c'est le silence des hommes qui m'a déçu et leurs prises de paroles consternantes qui m'ont énervé parce que je me suis rendu compte à quel point ce sont les femmes qui se tapent tout le boulot pendant que nous les mecs, on les critique. Dans toutes les grands victoires du féminisme, les hommes ont été au mieux des spectateur passifs, au pire des adversaires très virulents. J'ai découvert que les hommes ont un rôle à prendre dans la révolution féministe, un rôle nouveau et inédit : le rôle d'allié. J'ai essuyé les plâtres et je peux le dire maintenant : ça marche. Depuis que j'ai endossé ce rôle, je sais de source sûre que je change les choses autour de moi. J'ai appris à ne plus faire partie du problème et j'ai la fierté de faire, à mon échelle, partie de la solution. Depuis, je milite pour promouvoir ce rôle d'allié. Je recrute des hommes pour qu'ils s'éduquent et pour qu'ils se déclarent ouvertement alliés des femmes dans la lutte pour une égalité réelle.